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Interview : Laura Gutman

La CCFF a eu plaisir d'entretenir avec Laura Gutman, commissaire et productrice de projets d'expositions et la fondatrice d'Iclea, agence culturelle. Gutman est spécialisé sur l'art nordique et elle a organisé des expositions en Finlande comme en France, notamment Légendes des pays du Nord en Palais Lumière Evian en 2019.

Pourriez-vous vous présenter ?

J’ai été formée à l’Ecole du Louvre en histoire de l’art, avec une spécialité en XIXe siècle. J’ai écrit ma thèse sur le sujet de la maison d’artiste. Grâce à cette thèse et à une bourse de l’Ecole du Louvre, je suis allée pour la première fois en Finlande en voyage de recherche, en 1994. Kalela, la maison d’Akseli Gallen-Kallela à Ruovesi, faisait partie des quatre maisons d’artistes que j’ai étudiées. Les autres se trouvaient en Hongrie, en Bohème (République tchèque) et en Catalogne (Espagne). Les projets culturels étaient nombreux avec la Finlande à cette époque-là, parce que le pays était très actif sur le plan européen et utilisait les expositions dans sa diplomatie culturelle. J’ai finalement été amenée à étudier davantage l’art finlandais et à m’installer en Finlande en 2001 ; cela fait donc 20 ans que j’habite à Helsinki. J’ai aussi bénéficié de malentendus. Mes consœurs finlandaises n’avaient pas lu ma thèse, écrite en français. Les musées ont commencé à me demander d’écrire des articles sur plusieurs artistes finlandais qui avaient habité Paris. Je me suis spécialisée en géographie culturelle, qui était une discipline naissante à cette époque-là, et ainsi j’ai étudié les lieux de vie et leur signification pour Edelfelt, Gallen-Kallela, Ville Vallgren, etc. Bien entendu, les Finlandais n’étaient pas isolés à Paris à cette époque-là, ils rencontraient les autres Nordiques ainsi que de nombreuses personnes de différentes nationalités. Par conséquent, je me suis de plus en plus spécialisée dans les échanges culturels entre la France et les pays nordiques à la fin du XIXe siècle.

Mon rêve, dès le début de mes études à l’Ecole du Louvre, était de monter des expositions et j’ai eu la chance immense de réaliser la première exposition de l’Ateneum confiée à un étranger, qui portrait sur le symbolisme finlandais. Depuis que je suis installée en Finlande, j’ai de nombreux échanges avec d’autres professionnels. Nous avons créé une association, The Birch and the Star. Finnish Perspectives on the long 19th Century,avec l’idée de réunir tous les spécialistes du XIXe siècle en Finlande et de travailler à l’international. Nous réunissons des historiens de l’art, de la musique, de la littérature, etc. C’est une vision transdisciplinaire.

Pouvez-vous raconter quelles sont les activités d’Iclea ?

Au bout de 10 ans passés en Finlande, je me suis assise et je me suis dit : j’ai monté des expositions à l’Ateneum, à Turku, au musée Gallen-Kallela.  J’ai enseigné à l’université de Helsinki, à Turku, à Jyväskylä et pour autant, je n’ai toujours pas été embauchée dans quelque structure que ce soit, du fait que je suis une étrangère. Comment avancer ? C’est alors que j’ai créé dans le même temps l’agence culturelle Iclea et que j’ai lancé l’idée de l’association The Birch and the Star. Iclea avait dès le départ une double vocation : d’une part, le commissariat d’exposition, et d’autre part, la transmission au grand public. Il est fondamental pour moi que l’histoire de l’art ne soit pas seulement réservée aux spécialistes, mais qu’elle touche le grand public. Je pense que les gens sont intéressés si l’on s’adresse à eux et, au travers d’Iclea, j’ai organisé des visites et des conférences. Mais c’est une activité qui a beaucoup diminué ces dernières années, parce que la conduite de projets d’expositions prend beaucoup de temps.

En Finlande, il me semblait utile qu’Iclea fonctionne en français, pour pouvoir m’adresser à un public qui ne trouve pas une offre culturelle importante en français, qu’il s’agisse de Français, Belges, et autres Francophones, comme de Finlandais parlant français. J’ai ciblé différents types de publics : j’avais les mères plutôt à l’heure du déjeuner, les gens qui travaillent en soirée, et les familles pendant le week-end et les vacances. Mon souhait le plus cher était de toucher à la fois les parents et les enfants, en organisant soit des visites ensemble, soit en prenant les parents d’un côté et les enfants de l’autre, avec ma collaboratrice d’alors Assia Salah. J’ai monté quelques visites extrêmement amusantes pour les enfants, sous la forme des Missions secrètes Iclea, ou avec le Lycée franco-finlandais de Helsinki. J’aime emmener au musée ceux qui n’ont pas l’habitude d’y aller. Pour moi, la culture doit être une chose ludique. Je pense qu’en riant, on apprend beaucoup et que l’art, ça ne doit pas être rébarbatif.

Qu’est-ce qui vous a poussé à travailler avec l’art nordique ?

J’avais deux choix au moment de définir mon sujet de thèse. Soit il fallait que je trouve « la deuxième oreille de Van Gogh », c’est-à-dire quelque chose d’inconnu sur un artiste très connu. Soit il fallait que je trouve un artiste qui ne soit pas connu, mais qui mérite de l’être. Et c’est comme cela que j’ai découvert Gallen-Kallela en me disant : comment se fait-il qu’un artiste de cette qualité ne soit pas connu en dehors de la Finlande ? Ça me semblait incompréhensible ! Même encore aujourd’hui, je pense qu’il y a beaucoup à faire pour lui donner le rang auquel il a absolument le droit sur la scène internationale. Heureusement, la France a été l’un des pays qui s’est le plus intéressé à lui. Le Musée d’Orsay a organisé une exposition Gallen-Kallela il y a déjà dix ans, à laquelle j’ai contribué, et grâce à laquelle j’ai pu me permettre de rentrer plus dans le détail à présent, avec un sujet qui porte sur le paysage. À travers Gallen-Kallela, je peux également parler de musique, parce qu’il était très lié à des musiciens comme Jean Sibelius et Robert Kajanus. C’est toute une tranche de la culture finlandaise que je peux évoquer.

Vous avez fait une carrière internationale dans les musées nordiques et français. Quelle sont les différences fondamentales dans l’organisation des expositions entre la Finlande et la France ?

C’est vrai que j’ai orienté ma carrière vers l’international dès le début, puisqu’en France j’ai travaillé pour le Conseil International des Musées, où j’étais responsable des publications. Il y a une importante différence même en Finlande, parce que les musées ont des statuts différents : un musée de ville, un musée national et un musée privé ne fonctionnent pas de la même façon. Le plus exigeant, c’est généralement le musée géré par une ville, parce qu’il doit rendre des comptes très précis et respecter de nombreuses contraintes. Ensuite, il y a une question d’échelle : le personnel est beaucoup moins nombreux dans un musée finlandais que dans un musée français. Mais c’est en fait une qualité : quand on est moins nombreux, on fait plus de choses et du coup, on a moins d’interlocuteurs. Quelque part ça va plus vite, parce qu’on est déjà informé.

Depuis quelque temps déjà, Iclea travaille avec le printemps 2022 en ligne de mire. Des expositions et des publications sont en préparation pour Helsinki, Paris et Stockholm. Pouvez-vous nous raconter de ce que vous avez planifié pour le printemps de Paris ?

Tout d’abord, je présente au musée Gallen-Kallela, à Espoo, une exposition qui porte sur son rôle de mentor auprès de nombreux jeunes artistes. Je me suis rendu compte qu’il adorait être entouré de jeunes talents, et qu’il les entraînait dans les nouvelles expérimentations qu’il faisait alors – le portrait, la gravure, l’illustration, le décor mural… Une toute nouvelle image ressort, celle d’un homme généreux et continuellement entouré, également d’artistes femmes, alors qu’on se le représentait solitaire et taciturne.

Ensuite viendra la Saison finlandaise à Paris, qui est finalement assez liée à ma propre activité puisqu’à l’origine, les expositions devaient avoir lieu sur plusieurs années. A cause du Covid, le calendrier a été complètement bousculé. Quand je me suis rendu compte que tous les projets se trouvaient programmés au printemps 2022, je me suis dit que c’était une opportunité extraordinaire d’en faire une saison. En rapprochant les dates d’inauguration, j’ai pensé que l’on pouvait en faire un véritable évènement finlandais à Paris et que les gens qui viendraient voir une exposition, pourraient être entrainés à en voir une autre. Il y aura donc trois expositions à Paris. Je suis commissaire de deux d’entre elles : Gallen Kallela- Mythes et Nature au musée Jacquemart-André et 1882, un été nordiqueau château de Maisons à Maisons-Laffitte, dans la proche banlieue. Pour ces expositions, il a bien sûr fallu faire les choix des œuvres et de leur parcours, écrire ou superviser les textes de salle. En plus des expositions, il y a toujours les publications : le catalogue publié par le Fonds Mercator pour le musée Jacquemart-André, et le petit journal de l’exposition au château de Maisons en collaboration avec les éditions du Centre des Monuments nationaux. Pour l’exposition du Petit Palais, Albert Edelfelt. Lumières de Finlande, j’ai écrit un article sur ses relations avec ses amis artistes à Paris. En outre, il va y avoir plusieurs publications connexes, pour lesquelles j’ai donné des interviews ou écrit des articles : les numéros spéciaux de Connaissances des Arts et Beaux-ArtsMagazine sur Edelfelt et Gallen-Kallela. Et c’est formidable, parce que cela permet d’ouvrir d’autres sujets complémentaires aux expositions. Je me suis surtout efforcée de faire connaître les recherches les plus récentes conduites en Finlande en histoire de l’art, ce qui permettra de renouveler en France la vision que l’on a de l’art finlandais.

Je ne vais malheureusement pas pouvoir aller à Stockholm au vernissage de l’exposition sur les femmes nordiques sculpteurs, qui aura lieu en même temps au Nationalmuseum. J’ai écrit un article sur leur présence à Paris et leurs cercles artistiques et amicaux, qui montre qu’elles étaient parfaitement mêlées à leurs collègues masculins.

Pouvez-vous raconter l'exposition 1882, un été nordique au château de Maisons et comment vous avez décidé de l’organiser au château de Maisons-Laffitte ?

En 2015, j’ai organisé une exposition pour le musée Gösta Serlachius, à Mänttä, qui est ensuite venue à Helsinki, au musée national Sinebrychoff. C'était sur le thème du néo-rococo, c’est-à-dire sur la façon dont le XIXe siècle s’est intéressé au XVIIIe siècle. Au cours de cette exposition, j’ai présenté des œuvres peintes au château de Maisons. Christian Hoffmann, qui est conservateur en chef au musée des beaux-arts de Turku (Turun Taidemuseo), m’a parlé du château de façon insistante, alors que cela ne me disait rien. J’ai alors commencé mes recherches et je me suis rendu compte que Maisons-Laffitte était peut-être plus connu des Finlandais que des Français ! Et que le dernier propriétaire privé du château, Wilhelm Tilman Grommé, était considéré comme un généreux donateur en Finlande, puisque ses collections se trouvent aujourd’hui conservées entre les musées de Lahti et de Hämeenlinna, alors qu’en France, il avait une réputation détestable. Cela a été le démarrage de mes recherches. J’ai écrit un premier rapport à la demande des monuments nationaux, où l’on n’en revenait pas. Puis j’ai obtenu une bourse de la Fondation Niilo Helander, qui m’a permis d’effectuer une recherche approfondie, d’aller à Saint Pétersbourg et à Brême pour chercher des informations, et à nouveau en France dans les archives.

La nouvelle administratrice du château, Virginie Gadenne, a trouvé que cette étude méritait de faire l’objet d’une exposition, et de raconter cette histoire incroyable qui passe par la Finlande. En définitive, grâce à des prêts venus essentiellement de Finlande, cette exposition va se concentrer sur un aspect de cette histoire, l’été 1882, pendant lequel Gunnar Berndtson et Albert Edelfelt vont retrouver leur ancien professeur Adolf von Becker au château de Maisons et peindre plusieurs sujets dans ce cadre magnifique. C’est une exposition que j’ai voulu très légère, très estivale dans la salle de bal, et qui raconte l’histoire de ces artistes nordiques venus avec leur charmant modèle, où tous sont photographiés de façon très détendue dans les jardins et dans les salles. Maisons-Laffitte, c’est à 30 minutes de Paris en train ou RER, j’espère vivement que l’exposition attirera les visiteurs dans ce château somptueux. 

Printemps de l'art finlandais

 

Gallen-Kallela

La nature en majesté

Musée Jacquemart-André

11.3.-25.7.2022

 

1882, un été nordique au château de Maisons

Château de Maisons, Maisons-Laffitte

12.3.-25.6.2022

 

 

Albert Edelfelt (1854-1905) Lumières de Finlande

Petit Palais, Paris

10.3.-10.7.2022

 

Plus d'information sur :

Iclea.net

Chateau de maisons à Laffitte

Musée Jacquemart-André

Petit Palais

 

Photos:

© Merja Yeung

© The Gösta Serlachius Fine Arts Foundation, Teemu Källi

© La Quotidienne

 

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